BY COURTESY

Serendipity

Anne-Sophie Cochevelou

Trop n’est jamais assez

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—courtesy Anne-Sophie Cochevelou

Ce n’est pas un hasard si Anne-Sophie Cochevelou a choisi Londres comme lieu d’élection de son exil artistique. C’est avec évidence que la capitale anglaise aussi à l’aise avec la tradition qu’avec l’excentricité peut accueillir sans ciller son maximalisme poétique. Ce qui n’empêche pas la Galerie Isabelle Gounod de l’exposer a Paris dans un one-woman show sensationnel.

By Courtesy Magazine: Ok Sophie, comment allez vous?

Anne-Sophie Cochevelou: Très bien et vous? Juste un peu fatiguée vu que j’ai travaillé la nuit dernière.

BCM: Vous travaillez beaucoup la nuit sur vos projets?

ASC: Non je travaille parfois la nuit dans des clubs à vendre des tickets ou au vestiaire pour compléter mes revenus de créatrice, mais oui concrètement être créatif c’est travailler jour et nuit pour s’en sortir!

BCM: Bien, bien, je vois que votre vie et votre art sont intimement liés. Vous devez toujours avoir le cerveau en ébullition!

ASC: Oui, il n’y a pas de limite entre la vie privée et professionnelle, ça me travaille tout le temps, j’en rêve même la nuit!

BCM: Vous vous réveillez avec des idées?

ASC: Oui, quand ça bloque, le mieux c’est d’aller se coucher, les idées sont toujours plus claires au réveil, elles prennent surtout forme dans cet entre-deux, cet état de somnolence qui précède le réveil.

BCM: Ok, comment vous procédez? Est-ce que le matériau est à l’origine de chaque projet? Ou bien est-ce que vous avez une idée qui surgit et ensuite vous vous mettez en quête du matériau?

ASC: Non, la plupart du temps l’idée vient du matériau, quelqu’un par exemple va me donner un sac rempli de lanière de cuir et je vais décider de faire une robe à partir de cette matière, la forme et la couleur imposant les contraintes du design final. Ce n’est que si j’ai une commande précise que je travaille d’abord par croquis et que je vais ensuite me mettre en quête du matériau idéal.

BCM: Qu’est-ce que vous préférez?

ASC: Je préfère travailler de la matière à l’idée, j’aime être comme un Bernard l’Hermite qui vient s’approprier une coquille vide, ne pas subordonner la matière à l’idée mais répondre à ce qu’elle appelle en creux. J’aime travailler dans la nécessité, du fait que la pièce finale ait cet aspect car je suis tombé sur ce matériau à ce moment précis et pas à un autre, cet instant où la contingence devient essentielle.

BCM: Comment a débuté ce projet? Est-ce que vous vous êtes inspiré de choses qui existaient déjà dans la mode? Je pense à Paco Rabanne par exemple.

ASC: Oui, Paco Rabanne était un architecte à la base donc il s’est servi des éléments de son «background» pour créer ses designs graphique. Mon background est surtout le théâtre donc mes pièces ont un aspect très performatif. J’ai été très inspiré par les créations de Jean Charles de Castelbajac avec les robes peluches par exemple.

BCM: Le théâtre? Vous racontez des histoires avec vos panoplies ultra foisonnantes?

ASC: Et aussi Jean-Paul Gautier, il est très inspiré par le théâtre et à beaucoup de robe à thème, par exemple la robe «pellicule de film». J’ai fait des études de théâtre et de littérature donc j’aime que mes pièces aient un aspect narratif, qu’une robe soit par exemple un petit compte de fée à elle toute seule.

BCM: Le fait que vous habitiez à Londres a joué un rôle dans l’extravagance de vos créations? Vous êtes plus délirante que Gautier et Paco Rabanne il me semble.

ASC: Ah merci c’est très gentil! Oui, j’ai déménagé à Londres. Cette ville m’a montré que la création dans la mode est sans limites, que les contraintes sont faites pour être dépassées. J’essaye de garder une certaine cohérence dans les pièces et l’harmonie des couleurs pour parvenir à un résultat que je juge esthétique mais après je pense que rien n’est jamais assez fou: More is more!

BCM: More is more! C’est un beau slogan! Comment est née la première pièce et c’était quoi?

ASC: La première pièce était une broche tête de Barbie, à la base j’avais trouvé cette broche au puces de Saint-Ouen et la grosse pierre du milieu s’était décollé donc j’ai décidé de la remplacer par une tête de Barbie et j’ai trouvé ça chouette et depuis j’ai expérimenté sur de plus grandes surfaces.

BCM: Donc le défaut, l’échec et l’erreur vous savez en tirer parti, les transcender et y voir une opportunité pour faire quelque chose de mieux?

ASC: Oui j’aime faire de la récup, trouver des objets dans les poubelles, leur donner une nouvelle chance, donner une autre vie au rebus de la société, les gens ne voient pas le potentiel créatif de ces objets rejetés. Je n’aime pas ce qui est tout beau tout propre, mais les choses un peu cabossées, qui ont une histoire.

BCM: Dans quel milieu avez vous grandie? Quelles lectures et situations vous ont marquée?

ASC: J’ai grandi dans un milieu plutôt bourgeois classique, mes deux parents étaient ingénieurs et voulaient que je sois aussi ingénieur. Je me suis toujours construite en opposition (mon père est polytechnicien et je me disais que je ne serai jamais aussi brillante que lui si je suivais sa voie).

BCM: Votre voie divergente a été bien acceptée?

ASC: Au début mes parents on eu peur, ça été le drame quand j’ai fait un Bac Littéraire, mais ils n’ont pas voulu que je fasse quelques chose de créatif tout de suite donc j’ai fait trois ans de prépa littéraire hypokhâgne pour essayer d’avoir un «vrai» métier. J’ai été prise sur dossier à Normale Lyon mais je voulais vraiment faire quelque chose de plus créatif et là ils ont accepté.

ASC: Aujourd’hui ils me voient épanouie et indépendante financièrement donc ils sont très fiers et puis j’ai trois frères et sœurs qui font des études scientifiques donc cela rattrape!

BCM: La littérature joue un rôle dans votre création?

ASC: Oui j’ai eu la chance de pouvoir engranger un grand bagage culturel en trois ans, et notamment l’étude de la philosophie me permet de penser d’avantage par concept, derrière des créations colorées et farfelues il y à toujours une réflexion, comme dirait Nietzsche ça me permet d’être légère par profondeur!

BCM: Pourquoi Londres? Vous y avez fait des études?

ASC: Non en fait j’avais repéré depuis longtemps le master de mes rêves Performance Design & Practice avec un programme pluridisciplinaire unique en sont genre, à la fin de ma deuxième khâgne j’étais un peu paumée, je pensais même à faire une école de commerce (pour dire à quel point j’étais désespérée) et mon père m’a demandé, «Mais si tout était possible, que voudrais-tu faire?» Sans réfléchir j’ai dis «La Saint Martins School!», et il a dit: «Qu’est ce qui t’empêche de faire le dossier?» Et c’est mon père ingénieur qui m’a aidé à remplir le dossier. Aussi j’avais visité Londres au cours d’un voyage scolaire et je m’y étais vraiment sentie comme chez moi, et ce n’était qu’à 2h17 de Paris!

BCM: Qu’est ce qu’il y a Londres qu’il n’y a pas à Paris?

ASC: Les gens ont moins peur, sont moins frileux moins peur de s’exprimer, de s’habiller différemment, de monter leur start-up…

BCM: C’est à dire?

ASC: Il y a un esprit plus libéral, on donne leur chance au jeunes créateurs, on accepte les parcours différents, les profils atypiques.

BCM: Vous habitez dans quel contexte à Londres? Des amis artistes qui permettent une émulation, des échanges?

ASC: On accepte que les gens puissent avoir plusieurs activités et ne se cantonnent pas à un domaine. Par exemple faire à la fois les costumes et monter sur scène! J’habite en colocation dans l’est de Londres en quatre ans et demie je me suis constitué un bon réseau de gens créatifs qui sont à la fois très inspirants et des collaborateurs, c’est un petit microcosme, les gens s’entraident (ils se recommandent entre eux etc…)

BCM: Vous n’auriez pas atteint le même résultat à Paris?

ASC: Je ne pense pas, j’ai une amie qui fait des costumes à Paris et elle se sent assez seule.

BCM: Quelle est la différence concernant la manière dont vous êtes perçue à Londres et à Paris?

ASC: À Londres je passe presque inaperçue dans la foule des excentriques, les gens ont un regard très bienveillant sur moi (ou au pire indifférent) à Paris j’ai tendance à moins m’habiller pour ne pas subir les regards agressifs ou les remarques désobligeantes du genre «c’est Carnaval aujourd’hui?» Après par exemple j’ai beaucoup plus de presse en France car je suis d’avantage perçue comme un OVNI, alors qu’à Londres je ne suis pas si originale, j’exerce plus un effet de fascination en France.

BCM: Donc en France le prix à payer pour se distinguer c’est de se faire rejeter? Voire attaqué?

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